June Campbell
esclave sexuelle au
nom du tantrisme
par Catherine Segurane
June
Campbell fut la traductrice du célèbre maître tibétain Kalou
Rinpoche, et aussi sa "mudra", sa
"dakini", en d'autres termes sa
concubine, mais dans un contexte tantrique qu'elle analysa a postériori
comme un pur prétexte permettant à ce moine de rompre ses voeux de chasteté.
De son expérience
douloureuse, elle a tiré un livre, ainsi que la matière d'interviews. Proche
pendant des années d'un des plus grands maîtres tibétains, tant comme
traductrice que comme compagne, June Campbell est
une des personnes qui connaissent le mieux, de l'intérieur, ce mystérieux
bouddhisme tantrique, où le secret joue un si grand rôle. La démystication du tantrisme qu'elle opère est donc le
fait de quelqu'un, ou plutôt quelqu'une, qui en connait bien des ressorts
intérieurs et bien des secrets, à vrai dire les bien misérables petits
secrets de queutards baisouillant en cachette.
June Campbell eut à subir les insultes
habituelles que reçoivent les victimes d'abus sexuels qui osent révêler les travers d'un "grand homme". Elle
a abandonné la pratique du bouddhisme tibétain.
Kalou Rinpoche
Kalou Rinpoche (1905 - 1989) est un célèbre maître
tibétain appartenant à l'école Kagyupa. Il a
fondé de nombreux centres tibétains en occident et particulièrement en
France, et il est l'auteur de plusieurs livres. Grand mystique, ayant passé
quatorze ans en retraite solitaire dans les montagnes, il est considéré
comme ayant atteint des accomplissements élevés. Il a eu pour disciples les
plus grands lamas tibétains. Son image est cependant ternie par les abus
sexuels qu'il pratiqua sur June Campbell, abus
mentionnés dans son profil Wikipedia en anglais, mais absents du profil en français.
Les pratiques sexuelles dans le tantrisme
L'existence même de
pratiques sexuelles dans le tantrisme n'est pas un mystère : nous
avons tous vu des peintures tibétaines représentant deux divinités en
"yab-youm",
c'est à dire en union sexuelle.
Le questionnement
porte plutôt sur la fréquence de telles pratiques (exceptionnelles ou courantes ?),
sur leur degré d'intensité (ont-elles lieu en imagination, en
"visualisation", ou en vrai ?) et sur le sort de la
partenaire féminine (est-elle consentante ? est-elle dans une relation
d'égalité ? qu'advient-il d'elle quand elle vieillit ou si elle tombe
enceinte ?).
D'après certains
auteurs, le sort de cette partenaire féminine serait idyllique. Elle serait
traitée mieux qu'à égalité : comme une déesse dont le mâle serait
l'adorateur. Telle est la thèse de Miranda
Shaw dans son livre Passionate Enlightenement. Tout autre est le point de vue de June Campbell.
June Campbell
June Campbell est écossaise. Très tôt
passionnée par le bouddhisme, elle devient la traductrice de plusieurs
grands maîtres, et en particulier de Kalou Rinpoche, qui se met à exiger (c'est bien le mot)
qu'elle devienne aussi sa concubine. Elle n'a pas encore trente ans. Il en
a près de soixante-dix.
De cette expérience
traumatique, June Campbell tira un
livre paru en 1996 sous le titreTraveller in
Space : Gender, Identity and Tibetan Buddhism (extraits 1, 2, 3). Un résumé de l'affaire est
disponible ici. June
Campbell donna aussi une grande interview au magazine
Tricycle sur le secret tantrique.
Traveller in space, Voyageuse de l'espace en
français, dakini en sanskrit : tel
est le terme très valorisant (l'expérience l'est moins) utilisé pour pour désigner la concubine d'un pratiquant tantrique,
ainsi assimilée à une divinité. Campbell analyse la situation comme un exploitation, un abus. Elle se voit niée, puisque les
proches du lama eux-mêmes ignorent l'existence du couple, sauf un jeune
moine avec qui Rinpoche la partage. Plus tard, il
prend aussi une deuxième concubine plus jeune, et June
Campell est priée de s'en acommoder
et de, toujours, garder le secret :
"A titre
d'exemple de ce qui pourrait arriver, l'on me dit que le lama avec qui je
vivais avait eu, dans une autre vie, une maîtresse qui lui causait du
souci ; pour faire cesser le trouble, il lui jeta un sort, elle tomba
malade et mourut. Il me dit aussi que cette femme était un puissant
démon ; qu'il l'avait fait participer à des actes sexuels par
compassion mais qu'elle causait tant de trouble que ce n'était plus
supportable, et que son statut en tant que lama en était menacé."
Ces menaces sont
d'autant plus prises au sérieux par June Campbell
que la jeune seconde maîtresse de Kalou Rinpoche meurt brusquement, en principe d'une crise
cardiaque. Cet épisode de menaces met mal à l'aise car, de banales
histoires de coucheries tantriques qui ne sont à vrai dire pas une
révélation, on est passé là à de pures et simples menaces de mort, et à
l'acceptation au moins théorique de la notion de magie noire par un des
maîtres les plus vénérés. Que ce soit vrai ou faux, Kalou
Rinpoche s'est vanté d'avoir tué une maîtresse
gênante par des pratiques de sorcellerie. Cela témoigne au moins d'une
certaine complaisance vis à vis de ces pratiques, et vis à vis du meurtre
de subordonnés gênants.
Le secret dans le
tantrisme
Le problème du
secret dans le tantrisme tient une place importante chez June Campbell qui, rappelons le, le connait de
l'intérieur. Le secret est généralisé, et il est contraignant pour le
disciple, qu'il emprisonne littéralement : en témoigne le vrai
sentiment de rupture de tabou qu'elle éprouva, et qui la fit hésiter des
années avant de raconter son histoire. En même temps, le secret tient
souvent, très banalement, à de bêtes coucheries survenues entre un lama et une disciple.
Pourquoi ce secret
alors, puisque le tantrisme n'a pas d'objection de principe à la
sexualité ? Certes, nous répond Campbell, il n'y a pas d'objection de
principe, mais il y a quand même des situations où une liaison doit être
cachée, par exemple si le lama est marié ou s'il a pris des voeux monastiques de chasteté. Surtout, ce secret a
quelque chose de structurant dans la société tibétaine. En effet, nous dit
Campbell, les pratiques sexuelles, sont généralisées chez ceux
qui le peuvent, c'est à dire chez ceux qui détiennent le pouvoir, en
d'autres termes chez les moines de haut rang. Car, nul ne l'ignore, la
société tibétaine traditionnelle a pour colonne vertébrale des ordres
monastiques astreints à des voeux de chasteté.
Elle a donc, clairement, une contradiction à résoudre, et le secret est
l'ingrédient miracle qui permet de concilier vie sexuelle épanouie et
respect apparent du code de discipline monastique.
Qu'en est-il de la
pratique consistant à se contenter de visualiser des scènes sexuelles sans
les vivre autrement qu'en imagination ? Est-elle
considérée comme apportant, pour la pratique, les mêmes bienfaits que des
relations sexuelles réelles ? Non, répond Campbell. Les
scènes sexuelles juste visualisées, c'est ce qui est écrit dans les
textes, mais en réalité la vraie pratique tantrique commence quand le
pratiquant peut se procurer une vraie partenaire féminine. Les
visualisations sont un simple pis aller pour
les débutants ou les moines sans pouvoir. La thématique de la
sexualité par visualisation, très répandue dans les éléments de langage du
système est aussi très pratique pour avouer sans avouer, pour reconnaître
que le tantrisme sexuel existe tout en laissant entendre qu'il est
exceptionnel.
D'autres
circonstances, plus psychologies, jouent aussi dans cette association
indissoluble entre sexualité et secret. Les moines tibétains, surtout les
grands maître tulkous, étaient souvent amenés
enfants au monastère après une rupture souvent traumatique avec la famille.
Les rencontres avec mère et soeurs se faisaient à
l'occasion d'instants volés. La vie quotidienne se déroulait en milieu
exclusivement masculin. Dans ce contexte, c'est presque naturellement
qu'une rencontre, même innocente, avec une femme, même une parente, donnait
une impression de conspiration.
Campbell insiste
sur le côté très hiérarchisé de la société tantrique, et sur le secret qui
envahit tout, et crée des situations très paradoxales. L'existence de
pratiques sexuelles est connue, devinée et pressentie, mais sans que leur
fréquence soit bien appréciée, et sans que l'entourage sache que tel lama
en particulier a pour concubine Unetelle en particulier. Une révélation
fait l'objet d'un coup de tonnerre, au moins sur l'entourage masculin des
proches disciples et des conseillers en théorie les plus proches du maître.
Les femmes, en savent finalement plus sur les ressorts secrets du
tantrisme, et, en même temps, chaque maîtresse est réduite au rang de
complète inexistence.
Les conseils de
Campbell aux jeunes femmes qui se trouveraient dans la même situation
qu'elle : ne pas se prendre pour des personnes au karma exceptionnel
parce qu'un maître a jeté les yeux sur elles (ce qui tend à faire perdurer
ces relations malsaines). Et ne pas craindre le mauvais karma quand elles
voudront rompre et la relation et le secret : "La vérité ne
produit jamais de mauvais karma", nous dit Campbell.
Et qu'en est-il de
ce statut quasi divin qui serait accordé à la partenaire féminine ?
Qu'en est-il de ces grandes lignées de maîtres tantriques féminins dont
Miranda Shaw, dans son livre ? Campbell répond qu'elle n'en a jamais
rien vu, et que ces grandes lignées, à supposer qu'elles aient existé,
doivent dater de 500 ou 1000 ans.
Source : http://www.agoravox.fr/actualites/religions/article/june-campbell-esclave-sexuelle-au-100885
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