Non violent, le bouddhisme ?
par André Lacroix
« Le bouddhisme n’est ni une religion ni
une philosophie, mais un chemin de vie », entend-on souvent affirmer,
et encore : « le bouddhisme n’est pas prosélyte ». C’est
sans doute vrai idéalement, mais dans la réalité il en va autrement :
le bouddhisme n’échappe pas aux tares affectant toute religion.
D’après Melvyn GOLDSTEIN, un aperçu historique révèle que
les organisations bouddhistes au cours des siècles n’ont pas été exemptes
des violences des autres religions (in The Snow Lion and the Dragon,
1995). Rien qu’au 20e siècle, poursuit Mark JUERGENSMEYER, de
Thaïlande au Japon en passant par la Birmanie et la Corée, des Bouddhistes
se sont combattus entre eux et ont combattu les Non-Bouddhistes. Au
Sri Lanka, d’immenses batailles au nom du bouddhisme font partie de
l’histoire sri lankaise (inTerror in the Mind of God, 2000). On
ne peut pas non plus oublier que, dans les années 30 et 40, le nationalisme
militariste japonais a été très largement soutenu par les maîtres du
bouddhisme zen, qualifiant de « guerre juste » les pires
atrocités commises, surtout en Chine, par l’armée impériale. Et
l’histoire continue au 21e siècle : en Birmanie, les musulmans (Rohingya) sont à l’heure actuelle persécutés par la
majorité bouddhiste ; au Bhoutan, les hindouistes sont considérés
comme des citoyens de seconde zone par le pouvoir bouddhiste.
Ce qui est vrai du
bouddhisme en général, l’est encore plus, me semble-t-il du bouddhisme tibétain,
lequel est le plus répandu en Occident. Se superposant aux religions
préexistantes au Tibet comme le Bön (animiste et
chamanique, ainsi que dichotomique : dieux opposés aux démons),
empruntant nombre de pratiques au tantrisme (ensemble, né en Inde, de
croyances et de rites visant au salut par la connaissance des lois de la
nature, allant jusqu’à des rites de fusion sexuelle et prônant la divisions
en castes, ce qui a bien servi l’establishment), le bouddhisme tibétain
apparaît comme un immense bric-à-brac conceptuel, qui fait dire à Alain
Daniélou qu’il s’agit d’un « shivaïsme déguisé ». Le
bouddhisme tibétain, appelé aussi lamaïsme, est probablement, de toutes les
formes de bouddhisme, celui qui, par bien des aspects, est le plus éloigné
de l’enseignement de Bouddha. Bouddha a opéré une coupure radicale
avec l’hindouisme de sa naissance, pour chercher et puis proposer ici-bas
un chemin de vie fait de simplicité et de compassion, c’est-à-dire une
philosophie pratique. Or, ce qui frappe celui qui essaie d’approcher
la culture tibétaine – du Tibet ! –, c’est sa mythologie foisonnante
qui regorge de divinités terrifiantes et de démons grimaçants, comme, par
exemple, le dieu de la mort Yamantaka que l’on
peut voir, sur des thangkas, accouplé à sa
partenaire, en train d’écraser un bovidé représentant l’hindouisme et un
homme barbu représentant l’islam. Autre exemple : le dieu Mahakala, ceint de crânes d’ennemis qui, dans un
torrent de feu, livre combat au mal (que certains n’hésitent pas à
identifier au parti communiste !), une divinité dont le dalaï-lama
écrit, dans ses mémoires, qu’elle constitue son objet favori de
méditation…
Il est permis de
rapprocher ici les Squelettes Citipati
caractéristiques du monde himalayen des Danses macabres et autres Vanités omniprésentes
à la fin du Moyen Âge de l’Occident chrétien. L’exposition qui s’est
tenue à Paris du 15 septembre au 30 octobre 2004, en confrontant des
productions venues d’époques et d’univers différents, et pourtant si
semblables, en a fourni des exemples étonnamment suggestifs (voir les
magnifique catalogue « La Danse des Morts », éd. Findakly). Sans nécessairement adhérer à la
généralisation de Michel Onfray selon lequel
« les religions se nourrissent de la pulsion de mort », sans
nécessairement non plus jeter le discrédit sur toute forme de mysticisme,
voire de pratique chamanique, encore à l’œuvre un peu partout dans le
monde, on ne peut pas faire comme si le bouddhisme tibétain n’était qu’un
respectable chemin de vie, comme si le sourire de Bouddha ne cohabitait pas
avec d’horribles grimaces.
Cette part d’ombre
est généralement niée par les propagandistes et les convertis du lamaïsme
qui ne veulent voir dans les attributs terrifiants des divinités qu’une
arme pour détruire l’égo et les passions négatives. Ainsi donc, tout
ne serait que symbole. C’est oublier que, d’après les textes
sacrés, les pires punitions attendent dès ici-bas ceux qui manquent de
respect envers leur lama. « En témoignent les objets utilisés lors des
cérémonies rituelles tantriques qui proviennent du corps des
torturés : vases en crâne humain, trompettes en os de tibia, chaines
en vertèbres dorsales, peaux humaines tendues pour faire résonner les
tambours et pour décorer les lieux de culte » (Jean-Paul
DESIMPELAERE et Élisabeth MARTENS, Tibet, Au-delà de l’illusion, éd.
Aden, 2009, p. 221-222. Voir aussi Victor TRIMONDI, L’Ombre du
dalaï-lama, Düsseldorf, 1999 – en français sur le site www.trimondi.de). Si
le mythe guerrier du Shambhala n’était qu’un
mythe eschatologique promettant la félicité aux élus, les nazis ne s’en
seraient pas directement inspirés dans leur volonté d’établir leur empire
de mille ans…
Toutes ces
caractéristiques extrêmes du religieux se prêtant encore aujourd’hui à une
instrumentalisation à des fins politiques (séparatistes), sont très
généralement ignorées chez nous, grâce notamment au dalaï-lama qui a réussi
ce tour de force, non seulement d’apparaître comme le pape des bouddhistes
du monde (alors qu’il n’en représente même pas 1%) mais surtout de gommer
aux yeux des Occidentaux tous les oripeaux religieux du bouddhisme
tibétain, présenté – avec une maestria qui relève du tour de passe-passe –
comme une pure sagesse, dont chacun peut faire son miel…
Comme l’écrit
Bernard FAURE, Professeur à l’université de Stanford,
Californie : Même s’il ne saurait être question de nier l’existence
au cœur du bouddhisme d’un idéal de paix et de tolérance, fondé sur de
nombreux passages scripturaux, ceux-ci sont contrebalancés par d’autres
sources selon lesquelles la violence et la guerre sont permises lorsque le
Dharma bouddhique est menacé par des infidèles. Dans le Kalachakra-tantra
par exemple, texte auquel se réfère souvent le dalaï-lama, les infidèles en
question sont des musulmans qui menacent l’existence du royaume mythique de
Shambhala. A ceux qui rêvent d’une tradition
bouddhique monologique et apaisée, il convient d’opposer, par souci de
vérité, cette part d’ombre.
Bien évidemment,
ces considérations n’enlèvent rien au droit de chacun(e) d’adhérer au
bouddhisme ou à toute croyance ou pratique consolatrice des vicissitudes de
ce bas monde. Ces considérations n’enlèvent rien non plus au devoir de
chacun(e) de reconnaître la valeur des créations culturelles inspirées par
le bouddhisme au cours des siècles. Ces considérations n’ont qu’un
but : ouvrir les yeux de chacun(e) sur les dérives qui menacent le
bouddhisme comme elles menacent toutes les sectes et toutes les religions.
Source © : http://www.tibetdoc.eu/spip/index.php/dist/spip.php?article314
Présentation de André
Lacroix : http://www.tibetdoc.eu/spip/spip.php?article309
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