« Un livre
traduit en anglais pourrait bien faire office d’électrochoc pour la
génération X »
Note de lecture du livre de
L’ombre du Dalaï-lama
Sexualité, magie et politique en bouddhisme tibétain
par Marc Bosche

Le dalaï lama & Shoko
Asahara, le sinistre gourou de la secte Aum,
une des
images du livre électrochoc de Victor & Victoria Trimondi :
«
The Shadow of the Dalai Lama » (2ème partie,
chapitre XII)
Un couple
d’intellectuels autrichiens (résidant en Allemagne) a signé un document de
plus de 800 pages (paru en allemand en 1998) qui pourrait bien, depuis
qu’il est disponible en texte intégral sur Internet dans sa traduction
anglaise, faire l’effet d’un électrochoc sur la génération X.
Après la mode du
nouvel âge des années quatre-vingts, les
quadras, les quinquas et les sexagénaires d’aujourd’hui s’étaient en
quelque sorte repliés sur le message et le sourire du dalaï
lama comme une alternative possible aux désillusions des idéologies et de
leurs doctrines en « isme »
(christianisme, marxisme, maoïsme, situationnisme, etc.) Ce livre essentiel
pourrait ainsi signaler, voire précipiter le déclin de la mode du tantrisme
bouddhique d’origine himalayenne et des enthousiasmes, des attentes et des
illusions que cette vague avait suscitées en Occident. Décodant
méthodiquement la mythologie du dalaï lama, sans
jamais céder aux tentations de l’amalgame, c’est toute la structure du
lamaïsme en Occident qui par un effet de dominos, pourrait ainsi commencer
à être exposée pour la première fois à un véritable examen.
Cet ouvrage délivre
un choc à sa lecture, quelque chose d’absolument nouveau qui n’a pas d’égal
dans des publications sur le bouddhisme souvent redondantes et plus
complaisantes, car issues à l’intérieur même de ses spiritualités.
La transformation
irréversible qu’induiront probablement les informations cruciales contenues
dans ce livre chez les lecteurs ne sera pas sans conséquence (on peut
vraiment parler de découverte). Après la lecture de cette enquête érudite
et approfondie, nombre de sympathisants pourraient se donner la permission
d’un autre regard sur leur monde spirituel qui semblait pourtant aller de
soi tellement il paraissait bienveillant. Ouvrir enfin le débat sur les
fondements sexuels, magiques et politiques du tantrisme bouddhique, sur les
non-dits de sa pratique est sans doute ce que réussit ce livre, à défaut de
nous donner toutes les clefs de son monde intérieur.
Nous baignons dans
cette idée partagée que le tantrisme bouddhique est bon et que le dalaï lama est excellent. Après la lecture de ce
volumineux document d’enquête, extrêmement érudit et détaillé, cet aimable
stéréotype disparaît pour laisser la place à de sérieuses questions.
Les auteurs ont pris beaucoup de temps, et ont véritablement investi
beaucoup de leur expérience et de leur intelligence pour nous permettre de
comprendre ce qui est en jeu. Leur ouvrage comporte deux parties
principales. La première est consacrée aux décodages des textes de Kalachakra, et aux pratiques sexuelles et magiques
qu’ils proposent (le rituel en tant que politique). La seconde
montre comment ces notions s’appliquent dans le cadre d’une habile
métapolitique de la part de Sa Sainteté (la politique conçue comme
rituel). Les deux auteurs sont particulièrement à l’aise sur ce
terrain, et cette partie approfondit la précédente.
Derrière les
apparences plaisantes et rassurantes d’un culte du bouddhisme tantrique
dirigé par le dalaï lama, la réalité serait
autre, une inversion des valeurs se produirait (chapitre IV). À
l’issue des chapitres VI et VII, l’analyse poussée des textes du rituel de Kalachakra, et de leur signification, amène le lecteur
à ce constat : le monde des superbes mandalas de sable colorés, des
sourires avenants du bouddha vivant sur la scène médiatique sont une
apparence, voire la couverture de ce que nous ne devrions pas voir. Et ce
que nous ne devrions pas voir le livre nous le donne à comprendre, à
entrevoir, puis vraiment à voir.
Le constat est pour
le moins accablant. À la lecture des chapitres I à V, la doctrine
collective du tantrisme bouddhique révèlerait une possible dimension de
victimisation subtile. Le sacrifice de leur corps, de leur parole et de
leur esprit au gourou, serait chez des adeptes le secret de la puissance et
du rayonnement de celui-ci. Mais bien sûr les disciples ne découvriraient
la prédation symbolique (et parfois vitale, selon les auteurs) que de
l’intérieur, et on le suppose : trop tard, faute d’une transparence de
la doctrine. Les plus exposées seraient les femmes, dont l’énergie douce,
spirituelle et fine serait recherchée par certains « maîtres » du
tantrisme bouddhique, qui sont le plus souvent des hommes.
Le livre ne nous
épargne aucun détail. Nous découvrons par le menu les humiliations que peuvent
subir des partenaires féminines selon les textes rituels : parfois une
dizaine de prostituées pourrait être recrutée simultanément pour le
cycle d’initiations secrètes offertes à un maître de Kalachakra,
pour ce qu’il ne faudrait pas qualifier ici de grande orgie ritualisée.
Selon les traductions du rite qui sont commentées, le gourou et ses proches
disciples peuvent éventuellement se livrer ainsi à tour de rôle aux
initiations sexuelles en dehors des grandes initiations collectives et dans
ce public confidentiel.
Le lecteur sera
stupéfait de découvrir au chapitre VI que ces initiations pourraient inclure
pour les proches disciples masculins qui y sont invités la dégustation de
sécrétions organiques, que le bon goût et la décence nous empêchent de
nommer ici, considérés comme des « nectars » de « grande
félicité ». Pour cette raison ce livre doit être déconseillé à des
personnes très jeunes ou sensibles. Les auteurs ne font ici aucune allusion
à la vie privée du dalaï lama, et il n’y a pas
d’insinuation à son sujet. L’ouvrage se contente de tenter de décrypter
méthodiquement les textes du rituel de Kalachakra
dont ce dernier s’est fait l’ambassadeur dans le monde entier, en
particulier en Occident. En effet, le rite peut être également abstrait de
tout acte corporel. Un doute subsistera naturellement chez les lecteurs
quant à l’innocuité de pratiques, même visualisées, de par leur atmosphère
lugubre et un imaginaire que les auteurs qualifient de misogyne selon nos
actuels standards.
On le répète : les
conséquences de ce livre sur notre prise de conscience en Occident seront
très probablement durables et profondes.
La doctrine que
prône le dalaï lama serait en fait à géométrie variable,
et saurait ainsi rassurer et séduire divers auditoires, en particulier
Occidentaux. Elle serait œcuménique, interreligieuse et interculturelle
avec ces derniers, les attirant par un discours consensuel. Mais cette
doctrine s’articulerait à l’intérieur autour d’un noyau secret, dur et
stable, conservateur et préoccupant, si l’on est un citoyen du monde
attentif à l’éthique, au respect des autres et à la démocratie.
Après étude des
textes classiques, l’ouvrage pose la question de leur fondamentalisme au
sujet de la doctrine de Shambhala (chapitre X)
que prône le dalaï lama. Dans cette doctrine
quasiment apocalyptique – et qui apparaîtra aux plus raisonnables comme une
eschatologie voire une mégalomanie, les guerriers de Raudra
Chakri, le grand Kalki
du royaume de Shambhala, identifié peut-être à
une émanation future de sa sainteté, seraient bientôt supposés faire une
guerre sans merci à leurs ennemis. Selon les textes traditionnels étudiés,
le but de cette conquête serait l’établissement d’une bouddhocracie
sous la férule d’un souverain tournant la roue de la loi, un monarque Chakravartin. Cette mythologie de Shambhala
affirmerait que seraient ainsi « réincarnés » d’ici quelques
siècles pour cette lutte sanglante tous ceux qui auraient reçus dans quelque
vie antérieure l’initiation de Kalachakra (que
donne fréquemment Sa Sainteté en Occident, et dans le monde entier, sous de
vastes chapiteaux). Et qui seraient les ennemis à abattre
pour tous ces guerriers flamboyants unis derrière leur monarque Chakravartin ? Devinez ! Ce serait les non
bouddhistes, les peuples de la doctrine de l’Ancien Testament, de Jésus et
de l’Islam, (« Adam,
Enoch, Abraham, Moses, Jesus, Mani, Muhammad et
le Mahdi » - Shri Kalachakra
I. 154). C'est-à-dire, pour dire les choses simplement : vous
et moi, en cœur de cible les peuples du Livre (Ancien, Nouveau
Testament & Coran), ces peuples sémitiques où ces écritures ont fleuri,
et plus particulièrement les peuples de l’Islam.
Que le nazisme
entretienne de curieuses relations avec cette doctrine qui prône la
supériorité d’un mythe de Shambhala éloigné des
traditions religieuses, culturelles et sociales des « peuples du
Livre », est donc l’objet du chapitre XII (deuxième partie), et c’est
un sujet – ô combien polémique – qu’ils traitent aussi sans
timidité excessive dans ce livre, comme dans un ouvrage plus récent « Hitler-Buddha-Krishna – Une alliance funeste di Troisième Reich à
aujourd’hui » paru à Vienne chez Verlag
Carl Ueberreuter en 2002 et dont on attend la
traduction en anglais.
Pour les médias et
les auditoires d’Occident le dalaï lama est
écologiste, pacifique, progressiste et ouvert au monde d’aujourd’hui. Mais The
shadow of the Dalai
Lama présente aussi les contradictions de cette apparence. Dans
d’autres cercles, avec d’autres auditoires, le discours du bouddha
vivant n’est plus le même.
Par exemple la
position sur la nucléarisation de l’Inde du dalaï
lama serait contradictoire. Auprès des Occidentaux ce dernier se présente
comme un farouche opposant de la bombe atomique. Mais pour ne pas fâcher
les autorités du pays qui l’accueille en exil, il déclare publiquement son
approbation aux essais nucléaires de l’Inde.
Ce qui rend leur
document plus accablant, c’est que ses auteurs ne sont pas hostiles à la
personne du dalaï lama. Ils le connaissent depuis
les années quatre-vingts, et l’ont plusieurs fois invité en Allemagne, dès
1982, lors de vastes rencontres avec d’autres leaders d’opinion dans le
cadre de rencontres interculturelles. Ils ont publié ses écrits dans leur
maison d’édition, la Trikont-Dianus-Verlag et lui ont ouvert les portes de l’Autriche et de
l’Allemagne, y compris à des niveaux officiels. Ils lui font d’ailleurs crédit d’un tempérament tourné personnellement
vers la paix : « Peut-être est-il essentiellement une personne
aimant la paix, à titre personnel, mais sans aucun doute représente-t-il
une culture qui a été guerrière depuis ses origines et qui ne peut même
imaginer admettre son passé violent, sans même parler de le
reconsidérer. » C’est aussi la mythologie de cultures himalayennes qui
est directement interrogée dans le livre (deuxième partie, chapitres IV à
X). Au regard de leur histoire féodale et sanguinaire racontée dans The Shadow of the Dalaï lama,
on est loin des clichés romantiques et colorés des livres d’images et des
superproductions hollywoodiennes…
Voir le dalaï lama aux côtés de Shoko
Asahara, le sinistre gourou de la secte Aum qui a
fait gazer le métro de Tokyo au gaz sarin, est en soi une épreuve. Lire le
chapitre XIII (deuxième partie) qui est consacré dans le livre aux liens,
spirituels mais aussi financiers, dans la relation du dalaï
lama et de Shoko Asahara est une des choses les
plus incroyablement terrifiantes que l’on peut lire.
À ce propos il faut
reconnaître à l’iconographie du livre ses mérites, les photos sont bien
choisis et toujours pertinentes. En exergue de cette note de lecture, nous
nous sommes permis d’extraire du livre The Shadow
of the Dalaï lama la photo de Sa Sainteté,
souriant au côté de Shoko Asahara, paradoxe qui
devrait établir dans un certain embarras les voix qui ont jusqu’à présent
véhiculé l’image très politiquement correcte du leader de la cause
himalayenne. Mais au juste ne se tiennent-ils pas la main sur la
photo ? On ne distingue pas très bien… Après tout un homme politique
pose avec toutes sortes de visiteurs et peut se faire piéger, murmureront
les sceptiques.
Si ce livre
aujourd’hui disponible dans sa traduction anglaise était bientôt traduit en
français, nul doute que ce serait une des bonnes ventes, mais aussi un défi
pour ceux qui ont fait si facilement du bouddhisme en France le fond de
commerce bienvenu d’une niche mercatique. Avec la diffusion de ce livre,
une charge de la preuve incombera inévitablement aux « maîtres »
officiels, mais aussi aux disciples et aux sympathisants qui auront
maintenant à justifier point par point les aspects ambigus de yogas du
tantrisme bouddhique ou à se distancier clairement de pratiques non
éthiques s’il y en a. Car le dalaï lama étant
l’un des lamas les plus estimés, il apparaît qu’a fortiori d’autres
instructeurs, parfois moins réputés, seront sous plus haute surveillance
avec les prises de conscience nouvelles qu’amènera le livre. Les
associations et les groupes à vocation d’aide qui agissent en faveur de la
cause tibétaine et des réfugiés pourraient avoir aussi à se positionner
clairement vis-à-vis de ces nouvelles questions, maintenant qu’elles sont
posées sur la place publique.
Initiations et
stages payants, livres et invitations aux dons pour de nouveaux mouvements
religieux : il est probable que dans certains des milieux concernés,
et dans le lobby récent mais puissant qu’ils constituent, tout sera bientôt
fait pour empêcher ou retarder l’édition en français, et que les pressions
seront fortes. La plupart des lecteurs français ne lit pas l’anglais dans
le texte, et cela permet encore que l’Hexagone n’ait pas été touché par
l’électrochoc de « The Shadow of The Dalai Lama ». L’éditeur qui fera traduire le livre
et le publiera in extenso ramassera la mise, certain d’une exposition
médiatique exceptionnelle pour ce document. Alors, bientôt ou plus tard…
D’ici là, il nous faut nous armer de patience, si on ne sait lire ni
l’anglais de l’agréable traduction de Marc Penny, ni l’allemand de
l’édition originale.
Prévoyez une
grande place pour un prochain livre de l’été dans votre cabas, avec la
baguette de pain, le camembert et la bouteille de vin. Sur la plage, vous
pourrez probablement dévorer bientôt « L’Ombre du Dalaï
Lama », sinon - semblent nous suggérer amicalement les deux auteurs -
c’est elle qui pourrait bien dévorer l’occidentale candeur...
© Marc Bosche
Sur
l’auteur de cette note de lecture : Marc Bosche
est docteur ès sciences sociales. Il a longuement enseigné dans une Grande Ecole
française comme professeur-chercheur où il a également été responsable du
département sciences humaines. Il a été invité à Tokyo comme Visiting Associate Professor à l’université Keio
(Alma Mater du premier ministre Junishiro Koizumi qui en est diplômé). Anthropologue de l’interculturalité il a publié récemment trois ouvrages
sur les difficultés de l’adaptation du bouddhisme en Europe dont Le
Voyage de la 5ème saison, une lamaserie en Europe, récit d’une
expérience monastique.
Articles en français:
Critique
du Kalachakra-Tantra – Victor et Victoria Trimondi
HITLER-BOUDDHA-KRISHNA - Une alliance funeste,
du Troisième Reich à aujourd´hui (Table des matières)
Le livre The Shadow
of the Dalai Lama en texte intégral, traduction
anglaise (Etats-Unis) de Marc Penny est disponible à l’Url : http://www.trimondi.de/SDLE/Index.htm
Faut-il croire à
l’efficacité spirituelle des jolis mandalas de
sable de Kalachakra que promeut le dalaï lama pour favoriser la paix dans le
monde? Saviez-vous que l’un d’eux avait été constitué et présenté
pendant un mois environ dans le lobby d’une des Twin
Towers du World Trade Center (WTC1) quelques cinq
années avant le terrible attentat qui allait détruire entièrement
l’immeuble et prendre la vie de milliers de New Yorkais ? Une
intéressante interview de Victor et Victoria Trimondi
est présentée à l’Url : http://www.trimondi.de/EN/interv03.html
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